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SNOW WINDSURF EN ISLANDE

 

Les phares de notre voiture tentent en vain de percer le blizzard et la tempête de neige qui sévit à l'extérieur. Peine perdue puisque l'action des essuies glace est inutile depuis bien longtemps.  

 

Il est 2 heures du matin, ADDE notre guide conduit son véhicule d'une main de maitre. Nous nous trouvons en pleine nature en Islande du Sud quand la tempête de neige nous surprend.

 

Le navigateur Loran nous guide sur les "Way points" reconnus les jours de temps meilleur et nos deux voitures aveugles progressent entre les pièges et les crevasses du terrain en toute sécurité. Les pneus spéciaux dégonflés offrent une surface portante 5 fois supérieure à la normale. De ce fait c'est comme si nous étions équipés de 20 roues et nous roulons sur une neige poudreuse d'un mètre d'épaisseur comme sur une route normale.

 

A trois heures de vol de Paris le dépaysement est total.

 

Addé discute par radio avec Philippe dans l'autre voiture. Soudain il s'arrête. Ébahis, nous le voyons se déshabiller et sortir de la voiture nu comme un vers ? ...

 

Une forme blanche en provenance de l'arrière passe devant nous et s'évanouit dans le blizzard. L'autre guide rejoint Addé.... Ils sont complètement fous ces Islandais ! Dehors, il neige, il fait moins trente et ils se fichent à poils et vont faire une petite promenade de santé dans un vent à décorner les bœufs... en plus on n’y voit pas à 50 cm.

 

Engoncés dans nos équipements d'expédition polaire, nous sortons timidement et nous avançons dans la poudreuse en direction des voix que nous entendons. 

 

"Hoé Addé où es-tu ? "

"Ici ! alors qu’attendez-vous pour venir prendre un bain"

 

De plus en plus fous, un bain par moins trente ! .... Nous avançons prudemment en entendant un gargouillis d'eau. Pourtant c'est bien vrai, ils sont en train de se baigner... une rivière coule à nos pieds et son eau chaude atteint au moins 35 à 40 ¯ C.

 

"Alors vous venez !"

 

Nous nous retrouvons tous nus comme Adam, le froid est mordant et nous plongeons rapidement dans une eau à l'odeur sulfureuse. A quelques mètres le halo blanchâtre des phares nous permet de voir les 5cm de neige qui s'accumule sur le crâne de nos guides et sur le nôtre par la même occasion. 

 

C'est quand même plutôt inhabituel de prendre un bain de minuit par moins trente sous la neige avec un volcan sous les pieds !...

 

Notre expédition commence bien. Nous sommes venus ici dans le but de réaliser une petite partie de chasse photographique sur un "snowindsurf" et sur un parapente motorisé évoluant dans les décors islandais. 

 

Nous ne sommes pas là pour réaliser un exploit ou pour battre un record de vitesse, de traversée, de durée ou d'endurance quelconque. Tous les records du monde seraient d'ailleurs faciles à battre puisqu'il n'en existe aucun homologué.  

 

Non, notre exploit, c'est tout simplement la passion et l'aboutissement de chacun dans sa spécialité. C'est au quotidien une sorte de petite étincelle de folie créatrice qui fait que les choses bougent, avancent et que nous vivons intensément notre vie de sportifs et d'aventuriers.

 

Pourquoi l'Islande ? parce que le snowindsurf comme son nom l'indique se pratique dans la neige... et puis parce que nous pensons trop souvent, que l'herbe est toujours plus verte ailleurs, nous nous sommes mis en route pour l'Islande où les paysages sont paraît-il extraordinaires ... et bien sûr enneigés.

 

Nos guides nous expliquent que nous sommes à 150 mètres du refuge de Lamanalaugar but de notre première étape. En effet, après ce petit bain de minuit hivernal nous emménageons dans un refuge chauffé s'il vous plait à l'énergie géothermique comme 95% des maisons de ce pays.

 

Nous allons rester ainsi plusieurs jours dans le blizzard. Pas de photos, pas de vol en parapente motorisé, pas de snowindsurf et bien sûr pas d'hélicoptère. 

 

L'Islande semble vouloir nous faire comprendre qu'ici c'est elle qui commande. Un matin le voile se déchire, un soleil radieux inonde la vallée de Lanmanalaugar. Nous entrons dans un monde où la nature est d'une beauté sauvage à couper le souffle. Notre refuge est construit au pied d'une coulée de lave à proximité de la rivière d'eau chaude dans laquelle nous nous sommes baignés le premier jour.

 

Tel un animal prisonnier qu'on libère, Eric bondit dans ses chaussures, saute sur son surf et en deux ou trois coups de "pumping" accroche une rafale de vent qui l'emporte vers le fond de la vallée dans un "run" époustouflant. 

 

Tandis que "j'engrange" la scène au téléobjectif de 280 mm le deuxième Éric se sent pousser des ailes et prépare son parapente motorisé. Encore une fois l'Islande commande et notre parapente à moteur ne fera en tout et pour tout que 2 vols pendant tout notre séjour. Les turbulences et les sautes de vent sont trop importantes.

 

Éric le surfer entame une série de manœuvres à couper le souffle et revient vers nous se payant le luxe de profiter d'une petite butte pour faire un saut à rendre jaloux les meilleurs funboarders Hawaïens.

 

Avec le skidoo nous décidons de remonter une pente sur laquelle il est paraît-il possible de passer des killers loops ? Funboarder confirmé, je n'en crois pas mes oreilles. Toutefois en photographe avisé je me mets en position.... 

 

A pleine vitesse Éric déboule sur la pente. Un petit chuintement de neige sous la planche se mêle au sifflement du vent relatif dans la voile. Une trainée de poudreuse s'illumine un instant en contre-jour matérialisant la trajectoire du surf qui tournoie dans l'air. Sur la fin du looping, Éric s'aide de la voile en "pompant" d'un coup sec pour amortir la réception et repartir tout droit dans la pente en accélérant à pleine vitesse. 

 

La lumière rasante sur la crête en arrière-plan crée un effet de vague gigantesque ...  

 

Mes Leica enregistrent la scène à 4 images par seconde lorsqu’un bruit d'hélicoptère sorti tout droit "d'Apocalypse Now" éclate dans la vallée. Le Jet Ranger que nous avons loué débouche sans crier gare et comme une grosse libellule qui s'assagit, se pose non loin dans un nuage de poudreuse.

 

Nous embarquons et décollons immédiatement. A cet instant ou l'horizon recule pour faire place à la vision aérienne, la photographie me semble impuissante à décrire ce paysage de la création du monde qui s'étend à nos pieds jusqu'à perte de vue. 

 

Çà et là des "solfatars" crachent des jets de vapeurs, petites colonnes blanches et cotonneuses qui montent à une trentaine de mètres et se dispersent dans l'atmosphère. 

 

Nous survolons une planète inconnue. Nous sommes dans une capsule spatiale survolant un monde lunaire et minéral. La magie volcanique des paysages islandais s'étend à perte de vue. Le pays chevauche les plaques tectoniques des continents américain et européen. 

 

La radio grésille dans l'intercom. Au sol le parapente à moteur tente en vain de décoller. Il restera cloué au sol à cause des turbulences.

 

Nous déposons Éric sur un sommet et nous nous mettons en position d'attente avec l'hélicoptère à quelques mètres de la pente.

 

Je donne quelques instructions au pilote. Après quelques préparatifs Éric s'élance dans la pente à une vitesse telle que le pilote de l'hélicoptère ne peut plus le suivre et se laisse enfermer dans une spirale infernale... Le surf disparait du viseur de mon Leica. Nous entamons un virage face à la montagne tellement serré que la force centrifuge nous écrase sur notre siège...  Le sol défile à grande vitesse quelques mètres sous nos pieds.

 

Soudain le surf réapparait dans mon champ de visée, tout se calme et redevient normal. Éric a compris qu'il allait trop vite et il nous attend à mi pente. J'installe un 180 mm sur un R5 et je lui fais signe de démarrer... clac clac clac , tranquillement cette fois ci, la lumière inscrit son histoire sur les particules d'argent de la pellicule.

 

Le soir au refuge nous commentons les évènements de la journée. Éric le pilote du Jet Pocket est inconsolable. Nos amis islandais nous préparent un repas traditionnel qui paraît-il faisait le régal des Vikings : testicules de mouton mariné dans du lait caillé et ailerons de requin à la vodka.  Tout cela est d'un goût absolument abominable ! 

 

Nos amis islandais mangent sans sourciller et arrosent le tout à la vodka. Le requin a faisandé quelques mois dans je ne sais quelle sauce à l'urine de cheval et il s'en dégage un fort goût d'ammoniac... nous mastiquons sans grand enthousiasme et repoussons poliment toute offre d'en reprendre en expliquant que c'est délicieux mais que nous n'avons pas très faim... Magnous et Addé rigolent de leur bon tour. Quel métier ai-je donc choisi ?  Après les délices de serpent en Chine populaire, me voici en train de manger du requin pourri à la mode Viking en Islande. Cela mériterait un article test dans le Gault & Millau ...

 

Le lendemain, des nuages bas recouvrent tout le secteur. Sur la neige pas de relief, pas de repères, plus de jeux d'ombre et de lumière, tout est blanc. Nous ne ferons pas de photos aujourd'hui. En Islande, il ne faut jamais faire de plan vous diront les Islandais. 

 

Nous nous plions à la volonté de la nature et nous profitons de la première éclaircie pour évacuer tout le monde en hélicoptère vers la côte Sud. Le voitures nous rejoindrons plus tard. La météo annonce pour le lendemain une journée de beau temps.

 

Au petit matin, nous décollons à nouveau.  L'air est tellement pur que la visibilité s'étend sur plusieurs centaines de kilomètres. Au loin le glacier Vatnajokull miroite dans le soleil levant.

 

Nous nous réjouissons à la perspective d'une journée de prise de vue extraordinaire.

 

Après un petit tour d'horizon, nous choisissons un sommet dont le profil est idéal pour organiser une autre série de prise de vue de looping en surf. 

 

A peine posés, j'inspecte les lieux avec Éric. Ici en altitude, un léger vent froid souffle du Nord. Nous revenons à l'hélicoptère. Le nez dans mes sacs, je prépare mes appareils photos et ne me rend compte de rien. Lorsque je finis, je réalise que nous sommes dans les nuages. Plus de visibilité, plus de lumière, jour blanc plus rien ! et zut quel foutu pays ! 

 

Nous resterons ainsi toute la journée bloqués sans pouvoir décoller. 

 

Je me doutais bien de ce qui se passait et cela se confirme lorsque par chance nous établissons un contact radio avec un avion passant au-dessus de la zone. Son pilote nous fait savoir qu'il règne un temps superbe sur toute l'Islande et qu'il voit un nuage, un seul accroché sur le sommet du volcan Hekla (1491m) ou nous nous trouvons.  

 

Pilote de delta, je comprends très bien le phénomène : un vent froid souffle du Nord en altitude. A un niveau inférieur, un vent plus chaud vient du Sud, de la mer et remonte sur les contreforts du volcan sur lequel nous sommes posés. L'air marin chaud se condense au contact des masses d'air froid et crée se nuage qui nous bloque.

 

Bien qu'étant sûr de voir ce phénomène disparaître en fin de journée, nous ne pouvions pas nous empêcher de penser qu'il nous faudrait passer la nuit sur place....

 

Il nous a fallu casser la glace sur les pales de notre hélico avec un piolet avant de pouvoir décoller dans la soirée... toute la journée était fichue. 

 

Nous avons néanmoins pu nous reposer et profiter un peu de la lumière du soleil couchant pour faire quelques images de solfatares et de surf sur fond de coucher de soleil. La lumière ne restera pas longtemps.  Alors que j'enregistre à toute vitesse un maximum de photos, je fais signe à Jean-Philippe pour qu'il appelle le pilote de l'hélico et lui demande de se poser à côté pour nous récupérer.

 

Le travail terminé, j'embarque et je ressens alors une petite secousse, l'hélicoptère s'enfonce légèrement. Une, deux, trois, autres personnes montent et à chaque fois nous sentons la même chose. Soudain, lorsque le pilote qui était descendu remonte, nous nous enfonçons brutalement de 50cm, Addé ouvre la porte et tente d'évacuer. D'une main sur l'épaule, je l'attrape à temps et le bloque... ses réflexes fulgurants sont conditionnés par quelques bons souvenirs. Il a déjà sauté une ou deux fois d'un véhicule en train de tomber dans une crevasse. Mais cette fois-ci, si l'un d'entre nous descend avant l'autre, le risque de créer un point de force sur une extrémité des patins peut nous être fatal. 

 

"Du calme, on descend tous ensemble ! "

 

La peur au ventre, nous quittons tous l'hélicoptère au même instant et nous nous éloignons comme si nous marchions sur des œufs sans vouloir les casser.

 

Le pilote reste seul et démarre sa machine. Tout se passe bien et à notre grand soulagement nous voyons l'hélico décoller et se reposer quelques dizaines de mètres plus loin. Nous sommes passés très près d'une catastrophe si le pont de neige sur lequel nous étions posés s'était effondré complètement.

 

Au mieux nous restions tous bloqués, au pire nous disparaissions dans une crevasse sans laisser de trace ...

 

Nous volons cap au Sud. De volcans en collines, de monticules en montagnes ou en glaciers, un paysage pur et sauvage s'étale sous nos pieds. Les dernières lueurs du jour qui tombe rougeoie de mille feux sur l'horizon. Les sommets s'illuminent d'un dernier rayon de lumière. Le sol retrouve sa couleur blanche et froide.

 

L'Islande est un pays très proche d'une nature qui ne fait aucune concession. Il ne faut pas commettre la moindre erreur. Addé nous raconte dans l'intercom l'histoire de ce touriste qui prenait son bain dans la rivière chaude près du refuge de Lanmanalaugar. Afin d'épater les copains, il est sorti tout d'un coup de l'eau pour enfourcher un skidoo et remonter en quelques minutes une pente voisine. La machine est tombée en panne au sommet et ne voulait plus redémarrer. Revenir à pied dans de la neige de plusieurs mètres d'épaisseur, nu comme un vers, prend l'éternité...

 

Le temps que Addé s'habille, se précipite au refuge, saute dans sa voiture, trouve l'autre skidoo qui évoluait au fond de la vallée, revienne à toute vitesse et monte chercher l'imprudent à moitié mort de froid, bloqué à mi pente, enfoui dans la neige jusqu'à la ceinture. 

 

L'Islande sait offrir aux gens patients des moments de grande intensité et d'une grande beauté. Le pays nous tiendra en haleine pendant tout le reste de notre séjour délivrant au compte-gouttes les courts instants ou nous pourrons travailler et réaliser notre reportage.

 

Notre retour en France s'effectue sans problème et l'habitude que nous avions pris du grand froid nous donne l'impression de débarquer à Paris au plein milieu de l'été alors que c'est la fin de l'hivers.

 

Alain Guillou

 

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SNOW WINDSURF  IN ICELAND

 

 

Crédit photos  : Copyright Alain Guillou. Photos faites au Leica.

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The team was 

 

Alain Guillou              : Photographer and organiser of the expedition

Eric Durand                : Surfer

Eric Sauzed                : Motorised parapente Pilot

Jean Philippe Roger  : Assistant

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